Allez, avancez dans les eaux profondes et jetez les filets

Texte de la prédication de la pasteure Gwenaël Boulet du 15 juin 2025

Texte biblique Luc 5, 1-11

1Un jour, Jésus est au bord du lac de Génésareth. Une foule nombreuse est tout près de lui, pour écouter la parole de Dieu. 2Jésus voit deux barques au bord du lac. Les pêcheurs en sont descendus, et ils lavent leurs filets. 3Jésus monte dans l’une des barques, celle de Simon. Il demande à celui-ci : « Éloigne-toi un peu du bord. » Jésus s’assoit dans la barque et il se met à enseigner les foules.

4Quand il a fini de parler, il dit à Simon : « Avance là-bas où l’eau est profonde, et jetez vos filets pour attraper du poisson. » 5Simon lui répond : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. Mais tu nous dis de jeter les filets, je vais le faire. »

6Ils jettent les filets et ils prennent un très grand nombre de poissons. Leurs filets commencent à se déchirer. 7Pour demander de l’aide, ils font signe à ceux qui les accompagnent dans l’autre barque. Ceux-ci arrivent. Ils remplissent les deux barques de poissons, et les barques pleines s’enfoncent dans l’eau ! 8En voyant cela, Simon-Pierre tombe à genoux devant Jésus et il dit : « Seigneur, éloigne-toi de moi ! Oui, je suis un homme pécheur ! »

9En effet, Simon et tous ceux qui sont avec lui sont effrayés, parce qu’ils ont pris beaucoup de poissons. 10Jacques et Jean, les fils de Zébédée, qui accompagnent Simon, sont effrayés aussi. Mais Jésus dit à Simon : « N’aie pas peur ! À partir de maintenant, ce sont des gens que tu prendras. » 11Alors ils ramènent les barques à terre, ils laissent tout et suivent Jésus.

 

 

 

Prédication

Après la pêche aux canards d’hier à la kermesse – où petits et grands ont peut-être remporté de jolis lots et beaucoup de sourires – parlons d’une tout autre pêche. La pêche dans un lac… assis sur une barque… à jeter des filets… Pas une pêche pour le plaisir, non, mais une pêche pour vivre. Et là, l’ambiance est bien différente. Question lot, les disciples n’ont rien gagné… en tout cas au départ.

Imaginez une nuit passée à peiner, à jeter des filets encore et encore dans le silence sombre du lac. Les bras tirés, le corps fatigué, et à chaque remontée… le même vide. Rien. Le sentiment d’un effort vain. C’est l’expérience de Simon, Jacques et Jean au petit matin sur le lac de Génésareth. C’est l’expérience aussi de bien d’entre nous devant un travail considérable, un projet, des heures d’effort, qui n’aboutissent à rien…

Je comprends assez bien la frustration de Simon, Jacques et Jean qui ont jeté des filets toute la nuit, et remonté des filets aussi. Et c’est lourd un filet… et qui n’ont rien pris. Une nuit de travail pour rien… une nuit de fatigue, pas un poisson de pris… Ça veut dire pas de revenu, ça veut dire une journée à vivre sur les réserves. Un peu comme nous, quand nous attendons quelque chose de précis d’une journée ou d’une rencontre et que rien ne se passe selon notre attente. On avait besoin de vider son sac auprès d’amis, et voilà qu’ils n’ont pas arrêté de parler… et qu’on est reparti avec notre sac trop plein. On avait besoin du réconfort d’un parent, mais voilà que sa journée de travail l’a trop fatigué et que la préparation du repas a tourné vinaigre, et on est parti se coucher avec notre tristesse… Oui, ça nous arrive à tous d’avoir des attentes déçues, et ce n’est pas facile à vivre.

Et voilà les pêcheurs, comme nous parfois, bredouilles de leurs attentes, de leurs poissons, mais avec des filets à laver. Non seulement ils n’ont pas ce dont ils ont besoin, mais en plus le travail continue, pas de pause, tout s’enchaîne… Car même inutiles, ces filets il faut en prendre soin. Et les garder en état… pour la nuit suivante. Ces filets, ils signent leur vie. Les réparer, c’est refuser de renoncer tout à fait, c’est s’accrocher à l’idée qu’une autre tentative, une autre nuit, puisse peut-être enfin payer. C’est un geste de persévérance face à l’absurdité du vide.

Ils sont ces filets, un peu comme l’espoir qui s’accroche… on le conserve, on le soigne, même si… Parce qu’après tout, les choses peuvent toujours s’arranger, les poissons peuvent revenir, et il ne faudrait pas les rater. Après tout, les amis on les reverra bientôt, les parents seront peut-être disponibles ce week-end… Alors oui, on continue à en prendre soin de ce qu’on a, de ce qui peut recevoir, accueillir la réponse à notre attente… et ça nous aide à sortir de la frustration aussi. S’occuper les mains, occuper son corps pour ne pas trop penser… dessiner, jardiner, faire du sport… lire… en fait entretenir sa routine.

Et c’est là que tout bascule dans le récit, comme dans la vie des croyants. C’est justement dans notre routine, que Dieu vient marquer un stop et placer de l’imprévu. Parce qu’à l’époque tout le monde le sait, ça ne sert à rien de jeter des filets en journée… on n’attrape rien. Pourtant c’est bien ce que Jésus demande, « allez en eau profonde et jetez les filets ». Il essaye bien de discuter Simon-Pierre, mais par confiance en Jésus, il va le faire. Il va faire quelque chose d’apparemment inutile… et ça va marcher.

Car c’est là qu’il est intéressant d’imaginer l’absurdité de la scène aux yeux de Simon : Jésus, un charpentier, qui lui donne un ordre, à lui le pêcheur aguerri, qui va à l’encontre de toutes ses années d’expérience, de toute sa logique, de tout son ‘savoir’. ‘Jetez les filets en pleine eau, en plein jour ?’ C’est une folie ! Ça ne sert à rien. Et pourtant, c’est ici, dans cette dissonance totale entre le savoir du pêcheur, le savoir humain, et la parole inattendue, que se niche la graine de la foi. Simon ne comprend pas, mais il choisit d’accorder sa confiance.

Je crois que l’irruption de l’Évangile dans nos vies, ça ressemble à cela. Briser les codes des habitudes, des attendus, pour ouvrir un espace qui peut accueillir des merveilles insoupçonnées. Une Bonne Nouvelle qui prend le contre-pied de nos savoirs, de nos raisonnements, et qui nous demande de regarder le monde autrement, de l’habiter autrement. Avec audace, avec bienveillance, avec confiance… Alors en regardant autrement, en nous servant de nos filets, de nos vies dont nous avons pris soin, mais en les orientant différemment on peut voir de nouvelles choses. Des beautés qui se cachent dans les interstices de la vie.

Des belles choses, il y en a partout en vrai quand on cherche un peu, quand on s’y rend disponibles. Ça peut être le moment de complicité quand on lit une histoire avant de se coucher. Ça peut être en se promenant la découverte d’un balcon fleuri. Ça peut être la discussion inattendue sur la foi et l’Église protestante avec une personne qu’on verra qu’une seule fois dans sa vie.

Oui, je crois que quand on entend la parole de Dieu nous dire « allez, avancez dans les eaux profondes et jetez les filets » et qu’on ose le faire, alors on peut ramener des choses extraordinaires dans ses filets. Tellement d’ailleurs que nos vies ne peuvent les contenir. C’est un exercice du regard, un exercice du cœur aussi, de la confiance : laisser la frustration derrière, accepter le doute, et se mettre à regarder le monde, à accueillir les autres, comme Dieu le ferait lui-même. Simplement, en allant à la rencontre…

Et là, la merveille se produit. Les filets débordent, les barques sont sur le point de couler. Une abondance qui dépasse l’entendement. Mais face à ce trop plein, imaginez, on passe du rien au trop… face à tant de dons, la première réaction de Simon n’est pas de sauter de joie. Non, il a peur : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » Et là, en français, une subtile homophonie résonne : Simon le pêcheur de poissons se déclare pécheur devant Dieu. Ce n’est pas un hasard. Sa peur n’est pas seulement celle de couler sous trop de poissons, mais aussi celle de l’humain découvrant à quel point il est aimé de Dieu, …, bien plus qu’il ne s’aime lui-même.

Je ne suis qu’un homme, qu’une femme, qu’un enfant, je n’ai rien d’extraordinaire… pourquoi tant de cadeaux ? Dieu donne en abondance. Et cela nous révèle notre finitude. Comment nous qui sommes imparfaits pouvons-nous recevoir autant ? Juste parce que nous sommes là, et vivants, et cela suffit à Dieu.

Et ça pour toutes les personnes qui le vivent, c’est signe de transformation. Car c’est tellement fort de recueillir, de percevoir les belles choses, que quand on le vit, généralement après, il y a quelque chose en nous de différent. Et on a envie de le partager, on a besoin de le partager. Entendons bien, ce ne sont pas les efforts de Simon, Jacques et Jean qui les transforment, mais bien la confiance accordée à l’appel de Jésus. C’est la Parole de Dieu qui vient nous rencontrer et qui nous demande d’oser, d’essayer autrement qui nous transforme. Et c’est en essayant qu’on apprend, qu’on découvre. La foi est chemin d’apprentissage, d’audace.

Je crois que ce récit n’est pas seulement celui d’une pêche miraculeuse, mais qu’il est surtout le récit de la Bonne Nouvelle qui vient nous rencontrer. Le récit de Dieu qui nous fait confiance, qui vous fait confiance pour jeter les filets et montrer au monde tout ce qui peut le transformer en fraternité, en paix, en joie.

Oui, aujourd’hui, Dieu vient vous redire qu’il y a dans votre vie des merveilles et c’est sous l’angle de ces merveilles qu’il souhaite voir vos vies. Alors dans la confiance, vous aussi, nous aussi, avec Simon-Pierre, lançons les filets et voyons ce que nous récoltons. Non pas en nous appuyant sur nos seules forces ou notre savoir, mais en osant cette confiance radicale en Sa parole, même lorsque tout nous pousse au doute. Car c’est dans ces eaux profondes, celles de l’inattendu de la Grâce, que se révèle la vie transformée que Dieu nous offre.

Amen

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