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Le chemin de la justice
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Texte de la prédication du 24 août 2025 par la pasteure Gwenaël Boulet
Ésaïe 66, 18-24
18C’est moi qui motiverai leurs actes et leurs pensées ;
je viens pour rassembler toutes les nations
de toutes les langues ;
elles viendront et verront ma gloire :
19oui, je mettrai au milieu d’elles un signe.
En outre j’enverrai de chez eux des rescapés
vers les nations :
Tarsis, Pouth et Loud qui bandent l’arc,
Toubal, Yavân et les îles lointaines,
qui n’ont jamais entendu parler de moi,
qui n’ont jamais vu ma gloire ;
ils annonceront ma gloire parmi les nations.
20Les gens amèneront tous vos frères,
de toutes les nations,
en offrande au SEIGNEUR
– à cheval, en char, en litière,
à dos de mulet et sur des palanquins –
jusqu’à ma sainte montagne,
Jérusalem – dit le SEIGNEUR –
tout comme les fils d’Israël amèneront
l’offrande sur des plats purifiés,
à la Maison du SEIGNEUR.
21Et même parmi eux je prendrai des prêtres,
des lévites, dit le SEIGNEUR.
22Oui, comme les cieux nouveaux
et la terre nouvelle que je fais
restent fermes devant moi – oracle du SEIGNEUR –
ainsi resteront fermes
votre descendance et votre nom !
23Et il adviendra
que de nouvelle lune en nouvelle lune
et de sabbat en sabbat
toute chair viendra se prosterner
devant moi, dit le SEIGNEUR.
24En sortant, l’on pourra voir
les dépouilles des hommes
qui se sont révoltés contre moi :
leur vermine ne mourra pas,
leur feu ne s’éteindra pas,
ils seront une répulsion pour toute chair.
Luc 13, 22-30
22Jésus passait par villes et villages, enseignant et faisant route vers Jérusalem.
23Quelqu’un lui dit : « Seigneur, y-a-t-il peu de personnes qui seront sauvées ? » Il leur dit alors : 24« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas.
25« Après que le maître de maison se sera levé et aura fermé la porte, quand, restés dehors, vous commencerez à frapper à la porte en disant : “Seigneur, ouvre-nous”, et qu’il vous répondra : “Vous, je ne sais d’où vous êtes”,
26« alors vous vous mettrez à dire : “Nous avons mangé et bu devant toi, et c’est sur nos places que tu as enseigné” ; 27et il vous dira : “Je ne sais d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, tous les ouvriers d’injustice.”
28« Il y aura les pleurs et les grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et vous jetés dehors. 29Alors il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour prendre place au festin dans le Royaume de Dieu.
30« Et ainsi, il y a des derniers qui seront premiers et il y a des premiers qui seront derniers. »
Prédication
On dit qu’il n’y a pas de mauvaise question… que des mauvaises réponses ! Petit détour biblique, ce matin, avec une de ces questions, dont je ne parierai pas qu’elle soit si bonne que cela… et une réponse de Jésus, qui comme bien souvent s’amuse à être imagée et à la limite du hors-sujet.
Voilà, qu’un anonyme en chemin, interpelle Jésus. « Hé, Seigneur, y-a-t-il peu de personnes qui seront sauvées ? » Argh… complètement déplacée cette question. Si Jésus répond « oui, c’est vrai… », ça ne tient pas… le Royaume est bien assez grand pour accueillir tout le monde. S’il répond « non, c’est faux », il ne va donner aucune clef de compréhension à « l’interpeleur ».
Alors Jésus choisit la voix de la réponse imagée. Et il va déjà déplacer la problématique (d’où le hors-sujet… heureusement pour lui, qu’il n’a pas tenté les concours type Normal Sup 😉). Il ne répond pas sur la place éventuelle dans le Royaume, ni sur le nombre de personnes qui y sont, ou y seraient… mais il répond par l’image d’un passage étroit difficile à emprunter. Une voie d’accès restreinte pour vivre le salut.
Comme protestants et protestantes, on va devoir s’accrocher un peu… parce que Jésus va parler d’actions humaines… Oui, oui, il est question du salut, et il répond « œuvre ». Oui, je sais, ça pique un peu. Mais quand ça pique un peu, c’est souvent intéressant d’aller voir pourquoi et de creuser le texte. Alors voilà.
Jésus va répondre « Efforcez-vous d’entrer » ou en grec « luttez pour entrer » par la porte étroite. Il ne dit pas « Entrez par la porte étroite », mais essayez, faites ce qui est possible pour vous… Et ça, sans mauvais jeu de mots, ça nous sauve ! Parce que si Luc fait dire à Jésus que nous pouvons « lutter » pour entrer, c’est que c’est possible d’entrer. Et que ça ne dépend pas de nous. Il ne dit pas « entrez par la porte étroite », mais entraînez-vous, tentez, recommencez sans cesse. Parce que le résultat, en vrai, n’est pas tout, et il ne dépend pas que de nous. Il peut se passer plein de choses, qui viennent ruiner nos efforts. Le salut, lui, il est là et il est don de Dieu.
En revanche, la direction à suivre pour vivre ce salut, pour l’expérimenter, pour qu’il remplisse nos vies du Royaume, alors ça, c’est la réponse de la foi… et cette réponse nous appartient. En clair, ce n’est pas le résultat, le salut, le Royaume, qui doit nous inquiéter, mais la direction que nous allons prendre et l’effort que nous allons fournir pour le vivre déjà aujourd’hui.
Et arriver à quoi ? Quel chemin restreint, difficile, Jésus nous enjoint-il de suivre ? En allant un peu plus loin dans le texte, nous trouvons, peut-être, un élément éclairant. Il parle d’un maître de maison, qui dit aux importuns, « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, tous les ouvriers d’injustice. » Ouvriers d’injustice, voilà, les personnes que le maître refoule, ce sont celles qui ont œuvré à l’injustice. Et par logique, on se dit alors que la porte étroite, que le chemin exigu que Jésus nous invite à suivre est celui de la justice.
La justice comme porte d’entrée du Royaume. La justice recherchée, travaillée, comme signe qui permet de reconnaître des personnes comme accueillies par Dieu. Pas la justice comme réalisée, mais comme direction visée qui commande nos actions et nos vies. Si la justice est réalisée tant mieux, mais honnêtement, c’est difficile d’y arriver à tous les coups. On n’y arrive pas toujours, on n’y arrive pas en tout. C’est comme ça. Et parfois même sans le vouloir, nous sommes injustes. Quand nous interrompons une querelle sans en connaître tous les tenants et aboutissants. Quand nous prenons des décisions pour un « bien commun » sans nous rendre compte qu’elles peuvent coûter à certains, à certaines… Nous ne sommes pas toujours justes, et Dieu le sait. Ce qu’il nous demande, ce n’est pas l’impossible de la justice à tout prix. Non, c’est l’orientation de nos vies dans une recherche de justice.
La justice en premier dans l’enseignement de Jésus, ce jour-là, et je le crois encore aujourd’hui. La justice parce que c’est l’entrée de la paix. C’est la reconnaissance de l’autre, des autres, de leur place particulière. C’est le décentrement de nous-mêmes pour regarder au bien commun. La justice, c’est la clef de tout le reste. Ce n’est pas simple. Nous avons des plumes à y perdre, de la tranquillité sans doute, des avantages parfois, mais c’est l’appel de Dieu pour l’humanité : la justice.
Et c’est une porte étroite, nous dit Jésus. C’est la porte d’entrée dans le Royaume. Peu importe ce que nous avons entendu par ailleurs, comme cet homme qui interroge Jésus… le Royaume n’est pas réservé à une élite qui a respecté tous les commandements devenus tradition excluante. Il n’est pas pour celles et ceux qui ont « seulement » mangé comme il le fallait avec le maître juif Jésus, ou qui ont tout suivi de son enseignement. Ces personnes-là sans effort pour pratiquer la justice ne sont pas reconnus par le maître. Ou plutôt, il ne reconnaît d’où ils sont. Pour le dire autrement, ce ne sont pas les pratiques usuelles, religieuses, qui donnent son identité à la personne, mais c’est sa recherche inlassable de justice.
Ce n’est pas parce qu’on est né dans le judaïsme conservateur, qu’on respecte la cashrout, qu’on vit comme enfant Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ce n’est pas parce qu’on est un président proche des courants évangéliques ultra-conservateur, qu’on vit comme enfant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Si on ne recherche pas la justice, alors on ne l’est pas. Et aucune paix bradée, acquise par la violence, la force, la famine ou la recherche du gain financier, n’a de valeur aux yeux de Dieu.
C’est là que la parole de Jésus se fait la plus incisive. Le maître de maison dit aux ouvriers premiers arrivés devant la porte close de l’injustice : « Je ne sais pas d’où vous êtes. » Et c’est là que résonne cette phrase dérangeante et libératrice : « Il y a des premiers qui seront les derniers, et des derniers qui seront les premiers. »
Ceux qui, dans ce monde, pensent que tout leur est dû, paix, Nobel ou même Royaume, ceux qui se croient être les premiers parce qu’ils sont puissants ou riches peuvent se retrouver à la fin. Même si leurs anciens ont débuté une fabuleuse histoire avec Dieu. Et celles et ceux qui sont considérés comme les derniers — les anonymes, les pauvres, les exclus de l’histoire — peuvent se retrouver à la place d’honneur, même si « religieusement », ils ne cochent pas toutes les cases. Oui, à tout moment, la justice de Dieu peut inverser les logiques humaines et renverser la table des marchands de temples mondains ou religieux.
Alors aujourd’hui, oui, ce texte vieux de 2000 ans, vient encore résonner dans nos vies. Et au nom de l’appel de Jésus, de Dieu, à la justice, avec tellement d’autres, je me demande : Elle est où la justice quand des humains devenus monstrueux affament un peuple (à Gaza ou ailleurs) ? Elle est où la justice quand des humains fous de haine assassinent à tour de bras dans des kibboutz, dans des jungles, ou ailleurs ? Elle est où la justice quand des humains idolâtrant le gain financier se ruent comme des vautours pour rayer un peuple de la carte et faire d’un bout de terre une riviera, ou bien se partagent les profits d’exploitation de terres rares sur tous les continents ?
Eh bien, frères et sœurs, elle n’est pas là la justice… pas entre leurs mains. Elle n’est pas leur chemin de vie. Et je me prends à rêver qu’existe un jour un Nobel de la justice, et je me prends à rêver aussi qu’il ne soit jamais décerné, comme un rappel d’une quête inlassable ! Pour ne jamais oublier, enfin. Et pour que dans notre réalité, appelée à incarner le Royaume, il y ait des derniers qui soient aujourd’hui premiers.
Si la justice n’est pas le chemin de ces puissants, aussi triomphants semblent-ils dans notre temps, elle peut être notre chemin. Un chemin difficile, semé d’embûches, loin de la reconnaissance médiatique. Un chemin sur lequel nous trébucherons, et c’est normal. Mais un chemin que nous Jésus nous appelle à emprunter déjà ici, dans nos vies par nos gestes concrets. Quand nous essayons d’accompagner un enfant avec des besoins spécifiques, nous posons un acte de justice. Quand nous essayons de vivre sobrement et de partager, nous nous opposons aux dynamiques d’injustice de notre monde. Quand nous essayons de voir les belles choses du monde pour encourager les autres dans leurs engagements, nous aplanissons un peu leur chemin de la justice. Ces petits efforts quotidiens sont des signes visibles que la quête de la justice est bien vivante, quoiqu’il arrive par ailleurs.
Et souvent, ce sont des personnes inconnues de l’histoire, des absents de nos livres, des derniers parfois, qui nous donnent des signes révélant la justice. Juste au détour de mon été, j’ai vu le signe de la joie, chez ces jeunes maraîchers qui ont ouvert une guinguette en pleine ruralité et qui redonnent le sourire à un hameau endormi. J’ai vu le signe de la fraternité et de l’inclusion, chez ces volontaires du Grand Kiff qui ont offert de leur temps de vacances pour que les jeunes de notre Église vivent un temps de ressourcement par la prière, le jeu et les rencontres. J’ai vu le signe de la beauté dans ces troupes de théâtre de rue à la poésie renversante, qui ont fait de la liberté un spectacle pour tous.
Et pour vous, qu’y a-t-il eu comme signes révélateurs ? Quelle petite étincelle d’encouragement Dieu vous a-t-il donnée pour que vous ne soyez pas seul.e sur le chemin de la recherche de la justice ?
Qui sont pour vous toutes ces personnes qui arriveront un jour de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud pour prendre place au banquet dans le royaume de Dieu ?
Parce que oui, il y a résolument de la place dans le Royaume… et si la porte est étroite, elle est bel et bien ouverte, et laisse passer le vent de l’invitation de Dieu à la fête de la vie pour chacun et pour chacune.
Amen.