Culte pour les endeuillés. Histoire de Ruth

Texte de la prédication du pasteur Andreas Seyboldt du 3 novembre 2024. Dieu se laisse rencontrer à travers des personnes qui nous accompagnent.

Lecture biblique: Ruth 1, 1 – 21

1 Cette histoire se passe au temps où les juges gouvernent le peuple d’Israël. À ce moment-là, il y a une famine dans le pays. Alors Élimélek, un homme du village de Bethléem, dans la région de Juda, part avec sa femme et ses deux fils. Ils vont dans la région de Moab.

2 Sa femme s’appelle Noémi, et ses fils s’appellent Malon et Kilion. Ils sont du clan d’Éfrata. Ils arrivent donc dans le pays de Moab et s’installent là.

3 Ensuite, Élimélek, le mari de Noémi, meurt, et Noémi reste seule avec ses deux fils. 4 Plus tard, les garçons se marient avec des filles de Moab : l’une s’appelle Orpa, l’autre s’appelle Ruth. Ils habitent là pendant dix ans à peu près. 5 Puis Malon et Kilion meurent aussi, tous les deux. Noémi reste seule, sans enfants et sans mari.

6-7 Un jour, toujours dans le pays de Moab, Noémi apprend cette nouvelle : le Seigneur a montré sa bonté pour son peuple en lui donnant de bonnes récoltes. Alors elle se prépare à quitter le pays de Moab avec les deux femmes de ses fils. Elle quitte le lieu où elle vit avec ses deux belles-filles. Les femmes prennent la route ensemble pour aller au pays de Juda.

8 Mais Noémi dit à Orpa et à Ruth : « Maintenant, mes filles, rentrez chacune chez votre mère. Vous avez agi avec bonté envers mes fils qui sont morts et envers moi. De la même façon, que le Seigneur montre sa bonté envers vous ! 9 Qu’il vous permette à toutes les deux de retrouver un mari et d’être heureuses avec lui ! » Puis elle les embrasse. Alors les deux jeunes femmes se mettent à pleurer beaucoup. 10 Puis elles disent à Noémi : « Non ! Nous allons avec toi dans ton pays. »

11 Mais Noémi leur dit : « Rentrez dans votre famille, mes filles. Pourquoi est-ce que vous voulez venir avec moi ? Est-ce que je peux encore avoir des fils qui pourraient se marier avec vous ? Non ! Je suis trop vieille pour cela. 12 Rentrez chez vous, mes filles. Oui, partez. Je suis trop vieille pour me remarier. Bien sûr, je pourrais dire : “Il y a encore de l’espoir pour moi. Oui, cette nuit même, je vais avoir un mari qui va me donner des fils.”

13 Mais, même dans ce cas, est-ce que vous pouvez attendre qu’ils soient grands ? Est-ce que vous allez refuser de vous remarier pour cela ? Non, mes filles, ma vie est plus dure que la vôtre. En effet, la main du Seigneur m’a frappée. »

14 Alors les deux jeunes femmes recommencent à pleurer beaucoup. Puis Orpa dit au revoir à sa belle-mère en l’embrassant. Mais Ruth décide de rester avec elle.

15 Noémi dit à Ruth : « Regarde, ta belle-sœur est retournée vers son peuple et vers le dieu de son peuple. Fais comme elle, rentre chez toi ! »

16 Mais Ruth répond :

« Ne me force pas à te quitter pour rentrer chez moi. Là où tu iras, j’irai. Là où tu habiteras, j’habiterai. Ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu. 17 Là où tu mourras, je mourrai, et là on m’enterrera. Que le Seigneur me punisse très sévèrement si ce n’est pas la mort qui me sépare de toi ! »

18 Quand Noémi voit que Ruth veut à tout prix venir avec elle, elle n’insiste plus.

19 Les deux femmes marchent ensemble jusqu’à Bethléem. Quand elles arrivent là, tous les habitants sont surpris de les voir. Les femmes du village disent : « Est-ce que c’est Noémi ? »

20 Mais Noémi leur répond : « Ne m’appelez pas Noémi, la femme heureuse. Appelez-moi Mara, la femme amère, car le Tout-Puissant a rendu ma vie très amère. 21 En partant d’ici, j’avais les mains pleines. Le Seigneur me fait revenir les mains vides. Il s’est tourné contre moi, le Tout-Puissant m’a fait du mal. Ne m’appelez donc plus Noémi, la femme heureuse ! »

 

 

Prédication

 

Le livre de Ruth raconte une histoire qui commence mal et se termine bien.

Au chapitre 4, dernier chapitre du livre, sa fin heureuse est ouverte sur l’avenir. Un avenir qui conduit jusqu’au roi David. Mais pour comprendre le sens de cette fin heureuse à sa juste valeur, il est bon de se rappeler les épisodes précédents.

Le livre de Ruth commence par une série de pertes. C’est d’abord la perte de la nourriture : en effet,  Bethléem, c’est la famine, ce qui est une ironie amère et tragique de l’histoire, puisque le nom hébreu de la ville, Beith-léhem, se traduit par « Maison du Pain » !

Ensuite, c’est la perte du pays : la famille d’Élimélek et de Noémie doit s’exiler pour survivre. Enfin, c’est la perte, encore plus tragique, des hommes de la famille : le mari de Noémi et ses deux fils meurent, l’un après l’autre, en peu de temps !

La famine, l’exil et la mort ont brisé une famille qui n’a plus d’avenir parce qu’aucun enfant ne peut plus naître. …

 

« Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Que le nom du Seigneur soit béni   » (Job 1,21).

C’est ce que Job (un autre personnage biblique éprouvé par des malheurs similaires successives) a proclamé après avoir perdu dans un raid de bandes armées, ses bœufs, ses ânesses, ses moutons et ses chameaux – ainsi que ses bergers et serviteurs qui ont tous été tués. Ensuite, ce sont tous ses enfants qui meurent lors d’une tempête violente qui a écrasé la maison dans laquelle ils étaient réunis pour une fête.

 

« Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Que le nom du Seigneur soit béni  » (Job 1,21).

C’est ce que j’entends dire aussi parfois chez certaines familles quand elles font appel à moi pour célébrer les obsèques d’un être cher. …

Chez d’autres familles, c’est plutôt l’exclamation : « Qu’est-ce que l’on a fait au bon dieu pour mériter une telle épreuve ? »

 

Dans le livre de Ruth, après avoir vu mourir, les uns après les autres, son mari et ses deux fils, Noémi s’exclame : « Ne m’appelez pas Noémi, la femme heureuse. Appelez-moi Mara, la femme amère, car le Tout-Puissant a rendu ma vie très amère » (Ruth 1,20).

Ce qu’ont en commun Job, Noémie, ainsi que les familles endeuillées, croyantes ou pas, c’est qu’ils rendent Dieu responsables de leurs malheurs et épreuves !

 

Dieu, nous l’imaginons tout-puissant Seigneur de la vie et de la mort. Un Dieu-juge, trônant sur l’univers tout entier, et donc, forcément capable – s’il le voulait – de nous épargner les malheurs, les maladies et d’autres épreuves…

 

Dans la Bible, le Livre de Job suggère,  lui aussi, cette image lorsqu’il met en scène, dans son prologue, la cour céleste où Satan négocie avec Dieu le sort de Job.

Et lorsque ses amis viennent le voir, initialement pour le consoler, ils mettent en cause son intégrité morale en disant : Si Dieu a permis que toutes ces épreuves te tombent dessus, il doit bien y avoir une raison. Tu as dû commettre un péché grave !

Cependant, lorsque Dieu lui-même finit par prendre la parole, à la fin du livre, IL critique vivement ces (faux) amis : « Ma colère flambe contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job » (Job 42,7). Or, Job a, tout au long du livre, accusé Dieu d’injustice à son égard ! Mais, à la différence de ses amis, Job s’est adressé directement à Dieu ! …

 

Dans le livre de Ruth, Noémie ne s’adresse pas à Dieu directement. Et, d’ailleurs, Dieu non-plus ne parle pas dans ce récit, ni au début, ni à la fin. Il n’est présent qu’à travers les paroles de Noémie. À aucun moment il n’intervient directement, personnellement, dans l’histoire. …

Il n’y est présent qu’indirectement : dans les paroles de Noémie – et, un peu plus loin – dans celles d’autres personnages quand, après avoir vu naître son premier petit fils, ils prononcent des paroles de louange et de promesse à son égard : « Remercions le Seigneur ! Aujourd’hui, il te donne quelqu’un qui pourra prendre soin de toi. Ton petit-fils deviendra célèbre en Israël. Il va te faire revivre et de soutenir dans ta vieillesse » (Ruth 4,14-15). …

 

Mais je suis allé trop vite. Revenons au début de l’histoire où rien ne prédit encore une telle « fin heureuse »… Et rien ne permet encore d’affirmer que Dieu est présent dans cette histoire.

Cette absence apparente de Dieu dans les malheurs et les épreuves que subissent les personnages de ces histoires, est d’abord et surtout l’absence d’un dieu-protecteur : ni dans le livre de Job, ni dans le livre de Ruth, Dieu n’intervient pour empêcher les pertes et pour préserver du malheur ! Il n’en est pas non plus l’auteur :

Ce n’est pas sa volonté si des malheurs nous arrivent, si des êtres chers meurent, parfois bien avant l’heure dans des accidents tragiques ou des maladies incurables. …

Mais alors, où est-Il ? Comment est-IL présent dans l’histoire humaine, dans celle de Noémie et de sa famille, comme dans la nôtre ?

Kurt Marti, un pasteur suisse aujourd’hui décédé, à un jour écrit un éloge funèbre inattendu et un peu provoquant en son temps :

« Au Seigneur notre Dieu il n’a pas plu du tout

que Gustave Lipps soit mort d’un accident de la circulation.

D’abord un : il était trop jeune.

Et deux : envers sa femme un mari tendre.

Trois :de ses enfants un père aimé.

Quatre : pour les amis un fidèle ami.

Cinq : rempli d’un tas d’idée.

Qu’adviendra-t-il maintenant sans lui ?

Que deviendra sa femme sans lui ?

Qui jouera avec les enfants ?

Qui remplacera l’ami ?

Qui aura de nouvelles idées ?

Au Seigneur notre Dieu, il n’a pas plu du tout

qu’entre vous d’aucuns pensent que pareille chose ait pu lui plaire.

Au nom de CELUI qui ressuscita des morts,

Au nom du mort qui ressuscita,

nous protestons contre la mort de Gustave Lipps ! »

Je ne sais pas si le pasteur Kurt Marti a réellement prononcé cet éloge funèbre lors d’une célébration d’obsèques. Mais ces mots constituent bien une « prédication », c’est-à-dire une « proclamation d’Évangile »

« Protester contre la mort », voici une devise bien protestante ! Protester contre la mort – et pour la vie ! Chercher ce qui fait vivre plutôt que ce qui fait mourir ! … Ou pour le dire avec cette parole de Moïse dans le Livre de Deutéronome : « C’est la vie et la mort que j’ai mise devant vous, c’est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui » (Deutéronome 30,19b-20a). …

 

Mais alors, Dieu, où est-Il ? Et qui est-IL ?

Dans la Bible, Dieu n’a pas vraiment de nom. Lorsqu’IL se présente à Moïse Il lui parle à travers un buisson ardent qui brûle sans se consommer. Quand Moïse insiste pour connaître son nom, IL répond par un jeu de mots autour du verbe être « Je suis celui qui est » (ou je serai celui qui est…).

Dans l’histoire de Noémie et de sa famille, nous pouvons reconnaître Dieu dans le personnage qui a donné son nom au livre :

Quand Noémi retourne à Bethléem, elle a les mains vides. Mais elle est accompagnée de Ruth grâce à qui elle pourra se battre contre l’adversité, trouver un nouveau sens à sa vie en protestant contre la mort et pour la vie.

Au fil des chapitres, petit à petit, le pays, la nourriture et une descendance, sont retrouvés grâce à Dieu qui agit à travers la fidélité et l’obstination de Ruth.

Elle fait penser à un autre personnage biblique, d’origine étrangère lui aussi, qui vient en aide à un homme blessé au bord de la route : c’est le personnage – vous l’aurez peut-être deviné ? – du Bon Samaritain ! (cf. Luc 10,29-37).

Dans notre récit, Noémi est aimée par Ruth hors normes et schémas : on n’est pas aimée ainsi par sa belle fille ! En principe…  Puis, Noémi est nourrie par elle malgré sa détresse et sa faiblesse. Enfin grâce à Ruth, elle reçoit une descendance.

Dans ces trois éléments, Ruth figure la tendresse d’un Dieu maternel. Elle vient adhérer au peuple de Noémie par conviction profonde et par amour humain. Elle décide de prendre en charge un peu des souffrances d’autrui, ce qui est une façon de rechercher la justice. Tout cela fait penser à Jésus : lui aussi est venu assumer l’histoire d’un peuple, il a vécu et il est mort, il a ouvert les portes de l’espérance pour l’humanité toute entière.

« Là où tu iras, j’irai. Là où tu habiteras, j’habiterai. Ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu », dit Ruth à Noémi. Une promesse que les prophètes de l’AT ont associé à la personne du Messie, l’envoyé de Dieu, qui, dans les Évangiles, se réalise avec la naissance de Jésus que nous fêterons d’ici quelques semaines :

« Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Ésaïe 7,14). Le « nom d’Emmanuel, ce qui se traduit ‘Dieu avec nous’ », ajoute l’Évangile selon Matthieu (Matthieu 1, 23).

À la fin de cet Évangile, le Christ ressuscité promet à ses disciples : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Matthieu 28,20).

Dans nos propres histoires de vie, le Christ, Emmanuel = Dieu avec nous, se laisse rencontrer à travers des personnes qui nous accompagnent sur un bout de notre chemin, telle « Ruth », la Moabite, dont le nom signifie « Amie, Compagne ».

Dans nos vies, sachons voir ces compagnons et ces compagnes qui témoignent de la tendresse de Dieu à nos côtés, aussi dans les jours d’épreuve.

Amen.

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