Lecture biblique :
Luc 17, 11 – 19 (TOB) :
11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.
12 A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance 13 et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie pitié de nous. »
14 Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés.
15 L’un d’entre eux, voyant qu’il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. 16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or c’était un Samaritain.
17 Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? 18 Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu : il n’y a que cet étranger ! »
19 Et il lui dit : « Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »
1 Corinthiens 15, 10 :
« Ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine ».
Prédication :
Le sous-titre que donne la TOB à notre récit est « la guérison de dix lépreux et le salut du seul Samaritain ».
Quelle est la différence entre « guérison » et « salut », entre « être guéri » et « être sauvé » ?
S’il n’y en a qu’un qui a été « sauvé », que sont devenus les neuf autres ?
Et ce 10ᵉ, pourquoi est-il revenu ?
ET puis, quel lien entre ce récit de guérison et de salut d’une autre époque, d’un autre monde que le nôtre avec nous aujourd’hui – et avec notre culte d’offrande – et la confirmation de ton baptême, Pauline ?
Regardons ce récit d’un peu plus près :
J’y vois (encore!) trois éléments, trois « étapes » qui pourraient nous aider à y voir plus clair :
- La communauté des lépreux – une communauté subie
- Croire, c’est voir
- L’Église, une communauté choisie
- La communauté des lépreux – une communauté subie
Ils sont dix. Dix lépreux. Ils appartiennent à la communauté des lépreux, une communauté qui leur est imposée, une communauté créée par leur exclusion – telle qu’elle est imposée par la loi : « Le lépreux … doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa moustache recouverte, et il doit crier : ‘Impur ! Impur !’ … il habite à part et établit sa demeure hors du camp » (Lévitique 13, 45-46) … La maladie gomme les individualités.
Ici, les lépreux parlent d’une seule voix, ils ont un seul désir, et on ne connaît d’eux que leur maladie.
Ces dix lépreux étaient tous semblables : même maladie, même salle d’attente, même espoir, même guérisseur, même traitement, même guérison. Il n’y a pas des privilégiés dans le texte : « tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? » (v .17). …
Bien-sûr, dans la vie, cela ne se passe pas comme ça. Nous savons qu’il y en a qui guérissent et d’autres pas. Nous avons vécu, pendant deux ans une pandémie (et ce n’est pas encore tout à fait fini !) – qui nous a fait prendre conscience de notre fragilité et de notre inégalité face à la maladie : il y en a toujours un pour qui le traitement ou le vaccin ne réussit pas, ou qui est allergique à tel antibiotique…
Ici, tous sont guéris. C’est in attendu. De cette guérison, rien nous est dit directement. Est-ce Jésus qui guérit ? Elle semble se réaliser « pendant qu’ils allaient », « se montrer aux prêtres ». Luc n’en dit pas plus. Tous les dix ont été guéris – mais un seul « revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix », précise le texte. … Alors que sont devenus les neuf autres ? …
Alors il faut se dire que le texte ne cherche pas seulement à nous parler de maladie des corps. Il n’y a pas seulement le corps qui a besoin d’être guéri, mais aussi le « cœur », cet organe qui symboliquement représente notre relation à nous-mêmes et aux autres : notre être profond.
À cette guérison, tout le monde est appelé.
- Croire, c’est voir
Les lépreux se font entendre – non pas par le cri obligatoire :« Impur ! Impur ! », mais par un cri qui implore de l’aide ; est-ce pour implorer la guérison ou l’aumône ? Luc n’en dit rien.
Toujours est-il qu’ils font confiance à Jésus lorsqu’il les envoie voir le prêtre qui doit certifier leur guérison. Dans le commerce, ce n’est jamais celui qui est content qui revient au service après-vente ; alors qu’ici c’est celui qui « se voit » guéri qui revient (« …voyant qu’il était guéri », v.15). …
Le récit n’oppose pas neuf impolis à un individu bien élevé, mais neuf aveugles à un Samaritain qui s’est « vu » guéri. Après sa guérison, il émerge de la communauté des lépreux.
Il la quitte. C’est là que commence son existence individuelle : il vivait avec les autres une condition humaine commune, et il fait ensuite le choix de se distinguer du groupe. On remarque, dans ce récit, une rupture entre communauté choisie et communauté subie. …
Voilà ce dont nous parlent ces dix lépreux, tous malades et tous guéris. Tous malades et tous guéris, mais pour l’un d’eux, il se passe quelque chose de particulier.
On pourrait imaginer que la guérison s’est faite de manière particulière chez lui, ou qu’il était prédestiné à la santé… Mais l’Évangile ne dit rien de tout cela.
On sait seulement (et seulement vers la fin du récit) que ce lépreux est Samaritain. Il était, de ce fait, moins prédisposé que les neuf autres à bénéficier d’un miracle de la part d’un rabbi juif : Jésus !
Mais si Luc ne dit rien d’autre de ce lépreux-là, c’est qu’il n’y avait rien d’autre à dire : pas de mérite spécial qui expliquerait ce qui lui arrive.
La seule chose qui le différencie des autres, c’est qu’il « se voit » guéri. Et voilà qui change tout : voilà qui fait basculer sa vie. Il se voit. Toute la différence est là.
En nous racontant le récit, évangéliste ne nous conduit pas à nous poser la question « qu’est-ce qui fait qu’il est guéri ? », « mais qu’est-ce que cela fait d’être guéri ? » .
Guérir le conduit à se « retourner », à revenir. Le changement du regard entraîne un changement de direction … ce qui est, dans le langage biblique, synonyme pour « conversion »…
Autrement dit : le miracle ne se trouve pas dans la guérison mais dans ce que l’on fait de sa guérison. … Ainsi, le récit de la « guérison de dix lépreux et salut du seul Samaritain » est bien d’avantage une histoire de « foi » que de guérison. …
Certes, tous les dix ont été guéris de la lèpre, mais il n’y a qu’un seul qui, dans cette guérison, a vu DIEU à l’œuvre dans sa vie. …
La foi qu’un seul sur dix aura trouvé en regardant son histoire à la lumière du DIEU SAUVEUR. Cette foi n’est pas le privilège de quelques élus – dont le destin serait de rester minoritaire – mais elle est « parmi vous », elle est « au-dedans de vous » – autrement dit : elle est à la portée de tous. … La foi peut surgir – et resurgir – à tout moment du milieu de notre existence lorsque nous « voyons » DIEU à l’œuvre dans ce que nous vivons, dans ce qui nous permet de vivre et de revivre. … Cette alors que nous vivons une expérience de foi et de résurrection :« Relève-toi, Va. Ta foi t’as sauvé » (Luc17,19). …
Certes, tous les dix ont été guéris de la lèpre, mais il n’y a qu’un seul qui, dans cette guérison, a vu DIEU à l’œuvre dans sa vie. …
Et si notre difficulté de parler de « miracles » venait du fait que nous passons sans nous retourner sur eux ? On entend parfois dire « Je ne suis pas croyant, je ne crois pas aux miracles ». Le Samaritain n’est pas croyant non plus ; par contre, il est « voyant ».
Croire, c’est d’abord voir. Non pas attendre que quelque chose se donne à voir, mais chercher à voir ce qui dans notre vie peut être signe de la présence de DIEU. …
Alors, peut-être, comme Pauline qui a fait, elle aussi, le choix de revenir voir des signes de présence de Dieu dans sa vie, pouvons-nous, nous aussi, regarder un instant ce que dans notre vie passée nous parle de la présence de Dieu à nos côtés ? Puis, rendre grâce… c’est ce que nous faisons à chaque culte, et particulièrement à notre « culte de reconnaissance et d’offrande » : dire MERCI, rendre grâce à Dieu qui donne sens et orientation à notre vie :
« Ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu et sa grâce à mon égard n’a pas été vaine » (1Corinthens 15,10 ), comme le dit l’apôtre Paul !
- L’Église, une communauté choisie
Nous vivons dans plusieurs communautés. Des communautés que nous ne choisissons pas : la communauté des salariés ou celle des chômeurs, la communauté des retraités ou celle de la famille. Peut-être aussi la communauté de ceux qui ont la même maladie, qui subissent la même pandémie ou ceux qui ont vécu le même deuil, ou …
Nous sommes ainsi en communauté de destin, ou d’impuissance, avec toutes sortes de gens que nous ne connaissons même pas. Et nous appartenons à des communautés que nous avons choisies, celle de nos amis par exemple, ou d’une chorale, d’un club de gym, d’une association de randonnée, etc. …Et puis, nous appartenons aussi à la communauté qui s’est réunie ici ce matin . Mais comment ?
Quel est le statut de ce groupe : communauté choisie ou communauté subie ? Et notre Église, et notre paroisse ? Tous, ici, nous appartenons à une minorité : la minorité de ceux qui se sentent suffisamment concernés pour se déplacer jusqu’au temple le dimanche matin. Devant le petit nombre que nous sommes (pas aujourd’hui, mais nous ne sommes pas toujours aussi nombreux au culte), nous pourrions être tentés de nous lamenter. …
Alors, regardons l’histoire du lépreux : il est seul à faire rupture. Une personne sur dix : c’est une très petite minorité … à l’image de ce que représentent les protestants en France – et même de ce que représente le petit nombre de celles et ceux qui sont engagés, bénévoles au sein des Églises, la nôtre ici, comme ailleurs !
Or, cette communauté minoritaire ne réunit pas des personnes au destin exceptionnel, excluant les autres qui restent dans le malheur. Elle est faite de ceux qui vivent différemment la vie de tout le monde, de ceux dont le regard sur leur vie et sur celle des autres a changé.
Le lépreux rejoint Jésus et intègre ainsi une nouvelle communauté, une communauté de projet. Il chante les louanges de Dieu : il rend gloire, il rend grâce à Dieu. … Juste après, dans le récit, Jésus parle d’un Royaume de Dieu qui est « à notre portée », ou « parmi nous ».
Celles et ceux qui participent à la communauté choisie de l’Église sont rendus différents, non par leur appartenance à cette communauté, mais parce qu’ils comprennent devant Dieu ce qui leur arrive. … et ils savent se réjouir et être dans la reconnaissance .
En un mot, le croyant est celui ou celle qui sait dire merci !
Pauline, et vous frères et sœurs, soyons de ces hommes et ces femmes qui savent simplement voir les dons de Dieu dans nos vies, dans le monde, et dire merci.
Amen.
Andreas Seyboldt