Lectures bibliques:
1 Rois 17, 8-16
Marc 12, 38-44
Ce matin, Jésus nous invite à le suivre au Temple. Nous voilà donc à Jérusalem avec lui, dans un lieu stratégique et symbolique. Déjà il y a deux milles ans. Stratégique parce que c’est le lieu de rassemblement de toute la population juive et il lui est quasiment réservé. Symbolique parce c’est un lieu à part du reste de la ville : les règles qui s’y appliquent sont celles exclusivement du judaïsme, on y utilise une monnaie spécifique… tout doit être à destination de Dieu.
Ce lieu référence est le lieu du sacré ! Le lieu où la tradition pense pouvoir rencontrer Dieu.
Mais voilà pour dire vrai, il n’est pas certain que ce temple majestueux ait été voulu par Dieu… en tous cas, si on se réfère aux textes bibliques Je m’explique : quand le peuple dans le désert souhaite construire quelque chose pour Dieu, ce Dieu, un peu farceur, propose une arche… avec moultes détails. Allez, relire, ça vaut son pesant… mais en fin de compte… il est ailleurs. Il n’est pas dans l’arche, lui. Alors vous me direz, peut-être, oui, mais il y a bien la tente de la rencontre. Oui, effectivement, mais voyez-vous, Dieu ne s’y trouve que quand Moïse y arrive. Autrement il est dehors. Je passe, sur le refus de Dieu exprimé à David sur la construction d’un temple. Bon, l’humain étant têtu, Salomon finit par construire un temple… mais de là à ce que Dieu se soit laissé emprisonner une bonne fois pour toutes dans ces murs… qu’il en est fait sa maison, son unique maison… il y a loin…
Les gérants de la maison non souhaitée, ce sont les scribes, les prêtres… toutes ces personnes qui s’habillent bien, qui étalent leurs richesses, leur position sociale et qui, parce qu’ils se savent puissants aux yeux des hommes et femmes juives de leur temps, font tout surabonder. Ils ajoutent lois sur lois, commandements sur commandements, et en parallèle ils en mettent toujours plus aussi dans le trésor : c’est-à-dire qu’ils donnent toujours plus, et, ils le font bien savoir, pour l’entretien d’une maison et pour le soin de Dieu… qui n’a jamais demandé cela.
Nous voici donc avec Dieu qui n’est pas confiné là, et des humains qui font tout pour faire croire aux autres, que si, si, c’est certain Dieu est là et uniquement là, et qu’ils sont eux dans leurs pratiques et leurs commandements soient les intermédiaires avec Dieu, ce sont les prêtres, soient ceux qui montrent le bon et unique chemin, ce sont les pharisiens… dont des scribes sans doute.
Ils en mettent plein la vue à tous les autres, dans un langage fleuri on dirait qu’ils enfument leur monde derrière l’encens… et ils font peur à toutes les personnes qui n’arrivent pas à la suivre. Ils les écrasent par leurs préceptes, par la culpabilisation, par la comparaison… et aussi par la dîme qui est exigée de chaque croyant, indifféremment de son niveau de revenu. L’impôt par tranche n’a pas cours… 😉 quitte à ce que la veuve ne possède plus rien, et qu’elle soit obligée de céder sa maison… et sa maison, c’est tout ce qui lui reste à la veuve… dans le droit de l’époque. Si elle n’a plus de maison, elle n’a plus de refuge, elle n’est plus protégée.
Donc quand Jésus dit que les scribes en belles robes cherchant les salutations et autres dévastent les maisons des veuves en faisant mine de prier longuement, il dénonce très sévèrement leur comportement. Et ce d’autant plus, qu’il y a un commandement précis qui revient souvent dans la Loi : protéger, prendre soin de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger. Là, il y a, comme qui dirait un hiatus, un écart, entre ce que font les scribes, les « élites », et ce qu’ils devraient faire si elles étaient fidèles à Dieu.
Ce qui semble compter aux yeux de Dieu, ce n’est pas tant de mettre en exergue la réussite sociale, religieuse, ou financière… mais c’est l’attention aux fragiles, aux personnes qui ont besoin de protection dans une société qui ne leur donne pas la possibilité de vivre dignement par elles-mêmes. Car ce n’est pas parce qu’elle n’a pas musculairement la force d’un homme que la femme est fragile, mais parce qu’elle n’a pas de droit. De même pour l’étranger qui n’a pas les mêmes droits que les juifs. La Loi de Dieu demande que les « sans droit » soient considérés et protégés.
C’était vrai hier, et ça l’est toujours aujourd’hui. Alors quand de l’autre côté de l’Atlantique, nous voyons l’homme le plus riche du monde se pavaner avec un politique qui souhaite « déporter » par milliers des étrangers, ou qui restreint les droits des femmes et des minorités, tout en criant bien fort, que s’ils sont là, eux, ces hommes riches et puissants, c’est parce que Dieu l’a voulu… nous avons des raisons de nous dire qu’il y a quelque chose qui n’est pas en accord avec la Loi de Dieu et avec l’enseignement de Jésus.
Parfois, il faut savoir tenir des « non » fermes à la poudre aux yeux facilitée par les millions voire les milliards de dollars et d’euros. Non, au rejet, non au racisme, non à la réduction des droits et des libertés. Non, parce que Dieu nous enjoint depuis toujours de prendre soin, de protéger toutes les personnes qui sont à la marge de nos sociétés, de nos groupes religieux, de nos communautés.
Ce qui se joue en Amérique peut très bien arriver chez nous. Nous ne sommes pas à l’abri de détourner nos regards bienveillants des personnes que l’époque pointent du doigt et érigent en boucs émissaires de nos sociétés malades. D’ailleurs en français nous parlons de défendre la veuve et l’orphelin… tiens, il y a déjà une catégorie qui a disparu du langage même : l’étranger. Cela va si vite d’effacer des paroles et donc des vies certaines personnes.
Jésus en nous plaçant dans le temple nous éveille. Il nous demande littéralement de « regarder loin » des scribes qui déambulent en robe… oui, prendre garde en grec, ça se dit « regarder loin ». Jésus nous demande comme à ses disciples de détourner notre regard pour être attentifs à ce qui ne se voit pas a priori. Pas besoin de regarder pour voir le clinquant, ce qui étincelle, ce qui rayonne… ça saute aux yeux. Et c’est plus facile bien souvent que de choisir de regarder consciemment la personne précaire, la personne malade, la personne qui nous renvoie à notre propre fragilité. Et c’est d’autant plus vrai quand les fondements d’une société de droit vacillent. C’est humain, très humain… c’en est presque d’ailleurs un réflexe de protection… l’autre comme miroir de ce qui peut m’arriver à moi qui ne suis pas un grand de ce monde…
Ce ne sont pas les Musk, les Trump, ni les personnes du show-bizz de quelques bords politiques qu’ils soient, que Dieu nous demande de regarder. Ce sont toutes les autres personnes : celles qui se sentent déclassées et qui n’arrivent plus à tenir jusqu’à la fin du mois, celles qui sont menacées d’expulsion alors même qu’elles ne demandent qu’à vivre en paix, celles qui sont massacrées sous les bombes au Proche-Orient ou tabassées dans les rues d’Amsterdam. Ce sont toutes ces personnes qui ont besoin de nos regards, même si c’est dur pour nous, même si cela nous demande d’accepter parfois de voir l’insoutenable.
Jésus nous invite à nous déconnecter du paraitre qui affole les réseaux sociaux, les médias… et à nous reconnecter à la vie réelle, à l’humain qui est là devant nous et qui ne paye pas de mine, mais qui ne triche pas avec sa vie et qui n’attend rien d’autre que de vivre. Il nous invite à le regarder lui, à le reconnaître lui, fils de Dieu, dans l’humiliation, dans la faiblesse, dans l’épreuve… Dieu habite la vie, même la plus dure, même celle qui nous parait la plus moche.
Il n’est pas dans un temple de surabondance matérielle. Il est avec l’humain qui attend la rencontre, qui aspire au partage… avec l’humain riche ou pauvre, peu importe. Mais il n’est pas dans l’illusion d’un paraître aussi étincelant soit-il. Ce n’est pas ce qu’il cherche. Ce qu’il cherche, c’est nous dans ce que nous sommes au plus profond de nos existences.
Et s’il réside dans une maison, alors je crois, qu’elle ressemble à celle d’une femme qui un jour vit un étranger arriver jusqu’à elle. Elle était veuve, elle avait un enfant orphelin de père, et elle n’avait plus grand-chose pour vivre. Un peu de farine et un peu d’huile. Et voilà que faisant confiance à l’étranger qui demande le nécessaire, à boire, à manger, elle le recueille chez elle.
Une maison dans laquelle sont réunis la veuve, l’orphelin et l’étranger. Une maison dans laquelle, il n’y aura pas plus de biens qu’avant, mais pas moins non plus. La farine ne va pas déborder de la cruche, mais il y aura toujours assez pour passer la difficulté, la sécheresse qui sévit. Il y aura assez parce qu’il y a la confiance, qui permet d’engager sa vie complète, tout ce qui est nécessaire à notre propre vie pour qu’un autre, juste un autre vive aussi.
La veuve de Sarepta, pas plus que nous, ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle en a pris, dans la confiance et en responsabilité, sa juste part. Sa maison est résidence de la confiance, elle est habitation de Dieu.
Je ne sais pas, pas plus que vous, de quoi demain sera fait. J’entends les analyses, les similitudes avec d’autres époques pas si lointaines. Avec d’autres, avec certains et certaines d’entre vous, cela m’inquiète. Je vois aussi que tous les jours, ici dans cette maison, dans ce Centre 72 (pas un temple), animés par tant de bénévoles de spiritualités et de convictions différentes, il y a de la place et de l’accueil aussi pour les personnes en marge de nos sociétés. Merci !
Ensemble, nous pourrons tenir dans la confiance. Ensemble, parce que c’est plus facile de cheminer à plusieurs pour se redonner courage, pour décider des orientations, pour réfléchir et s’engager. Ensemble et avec Dieu qui s’invite dans les maisons comme la nôtre, par l’entremise de votre présence et par celles des personnes accueillies.
Et s’il y a des « non » à tenir fermement, il y aussi des « oui » à proclamer. Oui, Dieu est un nomade qui parcourt l’humanité. Oui, la vie chaque personne est importante. Oui, la peur n’a pas le dernier mot avec Dieu à nos côtés. Oui, il a mis devant nous la mort ou la vie, et c’est à nous qu’il revient de choisir chaque matin la vie.
Aujourd’hui peut être déjà un nouveau commencement, …, une journée de paix, de justice et d’espérance.
Avec Dieu et ensemble, nous pouvons, là où nous sommes, égayer la vie, avec Dieu le meilleur est toujours à venir.
Retournons nos regards, laissons avec Dieu le vieux temple vide derrière nous et choisissons la vie !
Amen