Le serviteur inutile

Texte de la prédication du 2 octobre 2022 par le pasteur Andreas Seyboldt

Lecture biblique

 

Luc 17, 5 – 19 (TOB)

 

 

5 Les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi. »

6 Le Seigneur dit : « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait.

7 « Lequel d’entre vous, s’il a un serviteur qui laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Va vite te mettre à table” ?

8 Est-ce qu’il ne lui dira pas plutôt : “Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive ; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour” ?

9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ? 10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites : “Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” »

 

11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.

12 A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance 13 et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie pitié de nous. »

14 Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés.

15 L’un d’entre eux, voyant qu’il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. 16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or c’était un Samaritain.

17 Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? 18 Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu : il n’y a que cet étranger ! »

19 Et il lui dit : « Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »

 

 

Prédication :

 

 

“Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” (Luc 17,10).

Difficile, voire impossible à entendre, à comprendre à une époque, où beaucoup de souffrance professionnelle vient justement du manque de reconnaissance ! Combien de soignants sont partis amers après la période Covid ? « On nous a applaudis aux fenêtres, mais la reconnaissance au niveau du salaire n’a pas suivi ».

Le manque de personnel dans le secteur du service à la personne ne date pas de la période Covid ; il est le signe d’une absence de reconnaissance, de valorisation à son juste prix de ce service ! …

Ce qui, dans la parabole du maître et du serviteur que Jésus raconte, est difficile à comprendre, à entendre, c’est qu’il semble adhérer à l’idée que le serviteur est à la merci d’un maître qui ne lui doit aucune reconnaissance, aucune considération : il est « quelconque », littéralement même inutile, car remplaçable dès que le maître en trouve un nouveau ! …

En arrière-fond, dans les coulisses, en quelque sorte de cette parabole, se trouve la question de la « reconnaissance » – ou plutôt l’absence de reconnaissance : son service ne mérite pas de reconnaissance, au prétexte qu’il n’a « fait » que « ce qui lui était ordonné » (Luc 17,9).

 

En revanche, la reconnaissance est bien présente dans l’histoire suivante de la guérison des 10 lépreux dont un seul revient dire merci pour sa guérison. À cause de ce geste de reconnaissance, Jésus lui dit : « Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé » (Luc 17,19).

  1. Le serviteur inutile
  2. Quelle reconnaissance ?
  3. La foi qui accomplit l’inutile et qui sauve

 

  1. Le serviteur inutile

Qui est le serviteur inutile ?

À l’époque du NT, dans la société gréco-romaine, l’esclavage joue un rôle important dans la société et l’économie. L’esclavage fait référence à la condition des non-libres (appelés servi, singulier servus), considérés juridiquement comme des meubles (objets). Ainsi, les esclaves sont considérés comme des biens en droit romain et n’ont aucune personnalité juridique. L’esclave était la propriété d’un maître – qui pouvait le traiter bien ou non. Il est à la fois homme et marchandise. Sa valeur monétaire incite le maître à en prendre soin afin que son investissement soit rentable. Outre le travail manuel, les esclaves accomplissaient de nombreux services domestiques et pouvaient être employés dans des professions hautement qualifiées. Les comptables et les médecins étaient souvent des esclaves. Les esclaves non qualifiés ou condamnés à l’esclavage comme punition travaillaient dans les fermes, dans les mines et dans les moulins. En résumé, l’esclave était défini par son utilité, par le service qu’il accomplissait pour son maître.

Les premiers chrétiens, du temps de l’antiquité gréco-romaine, en particulier les apôtres et les auteurs du NT, ne mettaient pas en question l’esclavage comme système. Cependant, ils accueillaient, au sein de leurs communautés, avec une égalité d’estime pour chaque personne quelle qu’elle soit et quel que soit son statut : hommes libres, femmes (qui n’avaient pas non-plus de statut de citoyen !) et esclaves, fidèle au mot d’ordre formulé par Paul dans une de ses épîtres :

« Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Galates 3,28).

C’est, d’ailleurs, Paul aussi qui a écrit une lettre – personnelle et touchante ! – à un maître d’esclaves, du nom de Philémon, membre d’une Église qui tient ses réunions dans sa maison.

Il se trouve qu’un des esclaves de Philémon, son nom est Onésime, s’est enfui de chez son maître pour se réfugier chez Paul ! Or, Onésime, grâce à Paul, est devenu lui-même un chrétien. Paul le renvoie à Philémon – avec une lettre de recommandation – dans laquelle il intercède pour lui : « Je te prie pour mon enfant… que j’ai engendré… qui jadis t’a été inutile et qui, maintenant, nous est utile, à toi comme à moi. … Peut-être Onésime n’a-t-il été séparé de toi pour un temps qu’afin de t’être rendu pour l’éternité, non plus comme un esclave mais comme bien mieux qu’un esclave : un frère bien-aimé » (Philémon 11 – 16).

 

  1. Quelle reconnaissance ?

« A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ? De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites : “Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” » (Luc 17,9-10).

L’humain existe-t-il par ce qu’il fait ? Lorsqu’il se retourne sur son passé et qu’il demande si sa vie a servi à quelque chose, est-ce au travail qu’il aura accompli qu’on mesurera sa valeur ?

La question que pose Jésus, n’est pas celle de la reconnaissance en tant que telle. Il ne met pas en doute la valeur du geste – et de la parole de reconnaissance.

La suite de la petite histoire du maître et du serviteur, le « récit de la guérison de dix lépreux » (Luc 19,11-19), le montre clairement lorsque Jésus félicite le seul d’entre eux, un Samaritain, qui a fait plus que ce lui a été ordonné (d’aller se « montrer aux prêtres », v.14) : « Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu. Et il lui dit :‘Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé’» (Luc 19,18-19). Nous y reviendrons un peu plus loin.

 

 

  1. La foi qui accomplit l’inutile et qui sauve

« Si vraiment vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait. » (Luc 19,6).

Voici une action totalement inutile, qui ne fait partie d’aucun cahier de charges, qui dépasse le raisonnable. Si la grâce n’est pas le salaire du devoir, du service accompli, est-elle le salaire du déraisonnable ?

C’est alors qu’intervient l’épisode des dix lépreux : Ils sont dix, tous guéris et tous sauf un font leur devoir : ils vont se montrer aux prêtres qui leur permettront de réintégrer la communauté et de redevenir des croyants normaux. Un seul déroge à la règle et vient « rendre grâce », acte légalement inutile, mais qui change tout, et qui, cette fois, vaut reconnaissance.

La reconnaissance qu’annonce Jésus dans l’Évangile – véritable acte de foi ! – est offerte gratuitement ! Elle n’est pas un « dû », elle est un « don ».

Elle ne dépend pas du service rendu ou du devoir accompli.

Elle est inutile, superflue, car elle ne produit rien – et c’est justement pour cela qu’elle est essentielle à notre vie : c’est grâce à cette reconnaissance gratuite que nous vivons, que notre vie à un sens et une valeur inestimable.

Cette reconnaissance – dont le mot grec dans notre texte est caris, d’où vient notre mot « grâce » – n’est pas due, comme une sorte de « salaire » pour le service accompli.

La grâce de Dieu n’est pas un salaire, elle ne rentre pas dans le champ de nos conceptions de l’utile, du mesurable, du calculable, de l’estimable.

Elle nous est offerte dans la Parole de Dieu, devenue chair en Jésus-Christ, qui nous dit : « Il est bon que tu existes. Il est bon que tu sois là ! » (sous-entendu indépendamment de ce que tu fais ou ne fais pas).

Alors, le bénévole qui aura accompli sa tâche pour un salaire fictif, aura-t-il raison de revendiquer un traitement de faveur pour avoir accompli ce à quoi il s’est engagé ?

Notre parabole répond avec force un NON salutaire qui prend sens à la suite de Jésus :

Quand tu as fini ta tâche, occupe-toi de me faire à manger et de me donner à boire.

Mais comment, où et quoi, Seigneur ?

Mais c’est ce que vous faites d’inutile à l’un de ces plus petits de mes frères qui apaise ma faim et étanche ma soif ! C’est chaque fois que vous prenez un peu de votre précieux temps pour vous retourner et dire merci.

Reconnaissez-vous les uns les autres, comme je vous ai reconnus. C’est à la reconnaissance que vous aurez les uns pour les autres que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples.

Mais non pas la reconnaissance pour le service bien rendu : la reconnaissance gratuite, parce que le vrai nom de la reconnaissance, c’est l’amour. C’est pourquoi elle ne se monnaie pas, elle ne s’évalue pas.

Oui, vous êtes tous des serviteurs inutiles, bons à rien, parce que c’est gratuitement que Dieu vous aime, vous n’y êtes pour rien.

Réjouissez-vous et soyez donc des passeurs de l’Évangile libérateur !

 

Amen.

Andreas Seyboldt

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